Entretien avec Vincent Berthet, vice-président de l’URSCOP AURA (Union régionale des Sociétés Coopératives et Participatives Auvergne-Rhône-Alpes)

Vincent Berthet est élu au Conseil d’Administration (vice–président) de l’Union régionale des SCOP en Auvergne-Rhône-Alpes, en tant que sociétaire de la SCOP Développements et Humanisme (Lyon). A travers ce témoignage, il présente cette Union régionale ainsi que le lien entre l’URSCOP et L’ESPER, notamment dans le cadre de « Mon ESS à l’École ».

 

PREMIÈRE PARTIE : LE MONDE DE LA COOPÉRATION

L’URSCOP  ? Tu peux préciser ?

Vincent BERTHET : L’URSCOP, comme son nom l’indique, c’est une union, au sens d’un regroupement, d’une mise en convergence des forces des sociétaires de coopératives de travail, d’emploi, d’activité sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes. On trouve des Unions analogues dans toutes les régions. En AuRA, ce sont plus de 500 coopératives, SCOP en grande majorité et SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) pour un nombre minoritaire mais croissant ; leur nombre progresse assez vite. Une partie des SCIC correspondant aux besoins d’un territoire (approvisionnement en énergie par exemple) regroupent des acteurs privés, publics, des citoyens sans embaucher un salarié. Certaines SCIC, donc, n’ont pas de salarié et peut-être n’en auront même jamais. Alors que, dans les SCOP, en  prolongement de leur l’histoire de  170 ans, les travailleurs d’une unité de travail en sont aussi très majoritairement les actionnaires, les sociétaires.

L’Union Régionale a pour vocation d’aider ces différentes sociétés à travailler au mieux ; le premier volet est celui d’un accompagnement, parfois plus rapproché en situation de crise, de tension. Le deuxième volet, c’est le fait de se regrouper pour faire mouvement ensemble, pour s’affirmer, rayonner, communiquer. Le troisième volet est l’aspect syndical dans le sens syndicat des entreprises, ou syndicat des agriculteurs sur un petit territoire : il s’agit d’être ensemble pour promouvoir ce modèle dans le champ législatif, au niveau des pouvoirs publics, etc.

J’ajoute quelque chose, qui est lié aux aspects précédents mais qui est  présent particulièrement en AuRA : la création d’outils financiers, de fonds affectés à la création et au développement des entreprises coopératives, le fait d’avoir un fort appui à l’implantation et au démarrage de nouvelles coopératives, notamment dans les situations de reprises d’entreprises par les salariés.

Ce sont les contours principaux des objectifs de l’Union Régionale, qui regroupe 540 coopératives  représentant 8725 salariés sur AuRA. Tous ne sont pas coopérateurs, mais la très grande majorité l’est. Actuellement, contrairement à ce qui s’est passé dans l’Histoire, la proposition d’être sociétaire, d’être coopérateur est faite aux salariés assez vite : au bout de 6 mois, 1 an, quelquefois tout de suite, dès qu’ils sont embauchés. De ce fait, il y a une minorité de salariés des SCOP qui ne sont pas eux-mêmes sociétaires. C’est une évolution par rapport à ce qui s’est passé il y a plus longtemps, où l’on avait des noyaux de sociétaires avec un grand groupe de salariés autour d’eux, dans le bâtiment par exemple.

Auparavant, les sociétaires ne cherchaient pas trop à développer ce sociétariat ?

VB : Oui c’est ça, je ne sais pas trop pourquoi exactement. Je crois qu’il y avait peut-être une difficulté à faire comprendre le statut de sociétaire.

On l’a toujours ! À partir du moment où l’on devient coopérateur, on s’engage. Financièrement, bien sûr, en mettant de l’argent. Par exemple, pour ceux qui entrent, ça se traduit en général par un petit prélèvement sur le salaire mensuel pour, petit à petit, constituer une part ou des parts de la coopérative.

Ensuite, il y a cette incitation à s’occuper de cette affaire commune qu’est la SCOP, et donc à y prendre des responsabilités ou au moins à la suivre de près. Certains salariés voient cela bizarrement car ils ne sont pas habitués et formés à ces pratiques. Ce qui pourrait exister comme sensibilisation ou éducation à la coopération dès l’école manque beaucoup, et, par conséquent, une partie des salariés est prise au dépourvu ! Ceci dit, dans des entreprises qui se développent rapidement, dans des phases où beaucoup d’emplois ont été pourvus, on n’incite pas forcément tous les salariés à devenir coopérateurs à très court terme ; surtout si l’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.

Et puis, quelque chose qui est très important, à la différence des sociétés de capitaux, c’est-à-dire des entreprises de statut classique, les SCOP et les SCIC sont des entreprises démocratiques. Le principe : chaque sociétaire a une voix au chapitre, au moment de l’AG ou dans d’autres circonstances pour des décisions d’entreprises coopératives. Une voix quel que soit son nombre de parts. C’est très important, c’est la différence majeure qui dissocie de facto l’intérêt d’avoir des dividendes de l’exercice du pouvoir, contrairement aux sociétés de capitaux où ceux qui ont investi possèdent l’entreprise et peuvent en faire ce qu’ils veulent du jour au lendemain, quelles que soient les positions des salariés.

Il est également  important de parler de l’équipe de professionnels qui est au service des entreprises coopératives de notre région Auvergne Rhône-Alpes ; elle comprend entre 35 et 40 salariés. Cette équipe d’accompagnateurs agit dans le développement et dans la vie courante des SCOP et SCIC, mais fait aussi de l’aide à la d’entreprises, à la création ; elle recherche aussi des financements pour des actions communes, puisque les cotisations que chaque SCOP ou SCIC règle à l’UR, et à la Confédération nationale, ne sont pas suffisantes pour la grande diversité des actions. Il y a donc des apports du Fonds Social Européen ou de collectivités, comme la Région, Clermont Communauté ou Grenoble Métropole.

35 salariés, en comptant AlterIncub ?

VB : Oui. On pourrait dire qu’AlterIncub est le germoir des coopératives ou des entreprises d’esprit coopératif. Il soutient des initiatives qui ont un potentiel de développement économique, et qui, en général, portent quelque chose d’innovant au point de vue sociétal. Alterincub débouche sur des créations d’activités en SCOP et SCIC, quelquefois aussi en SAS ; cela correspond à cette diversité d’entreprises pouvant être rattachées à l’ESS depuis la loi de 2014.

On est dans l’ÉSS quand on est une mutuelle, une association, une coopérative mais aussi quand on est une entreprise acceptant des critères même si on n’a pas un statut strictement coopératif : critères de limitation de l’éventail des rémunérations, de finalité sociétale assez déclarés. Cette exigence qui est faite par la loi de 2014 pour les entreprises qui souhaitent avoir ainsi un « agrément d’utilité sociale », est moins forte en termes de statut et fonctionnement coopératif et strictement démocratique mais plus forte sur d’autres aspects. On peut être une coopérative qui a une finalité, une production, une prestation directement d’intérêt sociétal, dans le domaine de l’environnement, de l’action sociale et solidaire, dans le domaine de la prise en compte des handicapés… Mais on peut aussi être une SCOP en ayant une activité de production industrielle, comme les Menuisiers du Rhône, qui est une SCOP ancienne. D’une manière générale, la part de l’industrie a diminué dans le monde des SCOP et SCIC, même si elle reste substantielle. Si on cumule les productions industrielles et le BTP, cela représente quand même un bon nombre de coopératives.

En ce sens, ce qui fait l’apport des SCOP et SCIC à la vie collective, à la société, à la réflexion sur les modes d’entreprendre, c’est un rapport capital-travail foncièrement différent et en deuxième lieu c’est le fonctionnement démocratique. Tout cela se vit avec toute sorte d’inachèvement et d’imperfections. Souvent je dis que les coopératives sont des instruments démocratiques inachevés, fruits d’une démocratisation des sociétés elle-même inachevée. Car en fait il y a eu une progression, si l’on regarde l’histoire de la France et de l’Europe, de l’idée démocratique en même temps qu’une progression de ces formes d’entreprises qui s’appelaient au début associations ouvrières ou mutuelles  et ensuite coopératives, quand le droit, à la fin du 19ème siècle, a permis l’essor des coopératives. J’ai travaillé sur les mutuelles dans mon département de la Loire : la première a été  instituée en 1819, une mutuelle santé et décès des «  tisseurs et veloutiers (les tisseurs du velours)».

Une coopérative de consommation a été créée au XIXè siècle à Lyon…

VB : Oui, c’est en 1835, à la Croix-Rousse, sous le nom du « Commerce véridique et social ». Si l’on parlait de l’ensemble des coopératives il y aurait aussi celle-là. Je pense que les premières entreprises coopératives de type SCOP, associations ouvrières ou autres ont dû être créées au milieu du 19ème siècle. La toute première s’est constituée à Paris en 1834, et après, l’essaimage a été  relativement rapide, malgré l’interdiction (hormis pendant la brève Seconde République) de faire exister des « coalitions ».

Quelles attentes le mouvement coopératif pourrait-il avoir envers l’éducation nationale ? Lors d’une rencontre mutuelle MGEN en octobre dernier sur le thème de la gestion démocratique des entreprises de l’ÉSS, un gérant de SCOP a posé  la question de l’apprentissage de la coopération par les élèves, un  besoin qu’il ressentait pour son entreprise.

VB : Oui c’est indéniable. Le monde coopératif estime que, dans les lieux d’éducation (l’Éducation nationale, mais aussi tout ce qui se raccorde aux pratiques éducatives liées à l’éducation populaire), ce besoin existe. L’ensemble des acteurs de l’éducation est déjà en partie, mais pourrait être bien davantage, initiateur de coopération ; notamment par des pratiques toutes simples finalement. Je pense que ce qui a été vécu et est encore vécu à l’école primaire dans le sillage de Freinet, en terme de coopératives scolaires, est déjà un premier pas non négligeable. Quand ce vécu se poursuit au collège, par exemple par des Juniors Associations, c’est très intéressant. Il peut se poursuivre aussi par de petites coopératives scolaires à tout niveau. Je pense qu’il y a, en premier lieu, à se connaître davantage, car on s’est écarté les uns des autres, les acteurs du système éducatif et les responsables de toutes les pratiques éducatives locales, d’une part, et d’autre part les acteurs de l’ESS.

On a tout intérêt à se rapprocher. Je pense que dans la formation permanente et initiale des enseignants, il pourrait y avoir aussi des segments de formation davantage tournés vers cette proposition coopérative qui est aussi une position de fond. Elle ne nie pas les identités personnelles, l’accomplissement personnel, l’apprentissage progressif qui doit être fait à l’école par chacun ; mais dans la démarche coopérative, on le fait ensemble et on apprend ainsi à faire en commun. Construire en commun, c’est une formation à la citoyenneté.

Je pense que du côté de la formation des enseignants, des choses se sont perdues en route : pendant longtemps, tout enseignant de l’école primaire, devait au cours de l’ « École normale », avoir encadré des camps de vacances, des centres de vacances etc. Avoir eu cette autre fonction lui faisait prendre pied dans les associations.

Revenons à l’URSCOP. Parlons un peu de l’organisation interne.

L’URSCOP AURA c’est une équipe de 25 administrateurs et un bureau de 8. Avec un travail commun effectif : 5 CA par an, 5 ou 6 bureaux. Il y a aussi des commissions de travail comme dans beaucoup de fédérations ou d’associations un peu larges. Des commissions qui réfléchissent par exemple sur la communication, qui travaillent avec les salariés chargés de la communication pour affiner les documents de présentation, le site…. Ou pour appuyer l’organisation, par des coopérateurs, de temps forts de communication « tous publics », par exemple à Lyon le festival « SCOP dans ma ville » au mois de novembre 2017.

Une autre façon relativement nouvelle depuis 2, 3 ans pour animer ce tissu des SCOP dans la région et les représenter et les animer à la fois, ce sont les comités territoriaux. Ils existent sur un ou quelquefois deux départements regroupés comme Savoie, Haute-Savoie. Ils ont pour rôle de faciliter les contacts entre les coopérateurs, des échanges qui peuvent d’ailleurs être à visée économique. Un deuxième volet c’est la représentation sur un territoire donné (Puy de Dôme, Loire, Haute-Loire, etc.), du mouvement coopératif auprès des collectivités, de la population ou des établissements de formation. On rejoint par là la vocation de l’ESPER, avec un certain nombre d’interventions dans l’enseignement secondaire et supérieur.

Représentation auprès de la population puisque quand il s’agit, à l’initiative d’un comité territorial comme celui du Rhône d’organiser un événement comme ce festival « SCOP dans ma ville », c’est bien toute la population qui est visée et pas seulement des acteurs de l’ÉSS.

La Ville de Lyon était partie prenante, non ?

VB : Bien sûr ! Quand il y a un enjeu qui dépasse strictement ce que sont les SCOP et SCIC, leurs besoins propres etc, il y a tout lieu de travailler avec d’autres, avec un co-financement ou sans. C’est pour cela que l’appartenance active de l’UR à la CRESS (Chambre Régionale de l’ÉSS) est quelque chose qui tombe sous le sens et qui ne s’est jamais ralenti, affaibli.

L’ensemble du monde de l’ÉSS, et c’est une conviction qui est très forte pour moi, est suffisamment restreint, minoritaire pour s’imposer de travailler ensemble. Il peut y avoir des divergences ; au niveau de la CRESS par exemple, et à plus forte raison au niveau national, on trouve avec cette appellation coopérative ou cette appellation économie sociale des mondes éloignés les uns des autres : des groupements représentent les coopératives d’un territoire, qui sont principalement des petits groupes vraiment démocratiques ; et ils cohabitent avec des grandes coopératives d’épargne et de crédit ou des grandes mutuelles, dont on cherche un peu, sous la carapace, les fonctionnements démocratiques.  La démocratie n’est pas un gadget, il faut vraiment partager le pouvoir.

Il y a donc des différences mais malgré tout, il faut rester dans ces structures de regroupement de l’ÉSS . Elles sont un peu lourdes, elles sont à améliorer, mais elles ont le mérite d’exister. On pourrait le dire des CRESS ou de la Confédération Nationale des CRESS, ou de Coop Fr qui est la coordination nationale de toutes les coopératives (les SCOP, mais aussi les coopératives agricoles, de banque, de consommation, etc). Tous ces organismes, c’est un peu comme l’ONU, ils ont le mérite d’exister ; s’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer.

On a parlé démocratie, on a parlé coopération. La non-lucrativité est aussi un des fondements de l’ÉSS. Comment les SCOP l’abordent-t-elles ?

VB : Les SCOP, comme un certain nombre d’associations qui ont une activité inscrite dans la vie économique, ont une nécessité d’équilibrer leurs comptes, au minimum ; et la nécessité de faire des surplus pour se développer, investir, faire des opérations de croissance interne ou externe. Ces surplus viennent aussi compléter les rétributions des salariés, en partie. De la participation et des dividendes sont restitués aux coopérateurs avec des limites très précises, ce qui est spécifique aux SCOP et rejoint la non-lucrativité.

Dès qu’il y a des bénéfices, une partie (le droit coopératif est très clair et contraignant -ce qui pose problème à certains nouveaux coopérateurs car ils ne voient que la contrainte-), une partie des bénéfices doit être mise dans des réserves qui sont dites « impartageables ». Ces réserves ne sont pas des actions ordinaires. Celui qui quitte une SCOP, parce qu’il prend sa retraite ou démissionne, a le droit de demander le remboursement de ses parts qu’il a mises 5, 10, 20 ans auparavant, avec un petit bonus qui est dû à l’évolution du pouvoir d’achat. Mais les réserves impartageables, on n’y touche pas ! Je suis assez sensible à cette affaire-là car ces réserves permettent que l’entreprise n’appartienne pas seulement à ses salariés mais s’appartienne un peu à elle-même aussi. Et ça la renforce !

Quand on dit que les SCOP ne sont pas à vendre, qu’on ne peut pas faire d’OPA sur les SCOP, c’est un peu vrai, car ces réserves viennent s’adjoindre au capital social initial qui est variable, qui est composé du cumul des actions des uns et des autres, sociétaires-salariés et minoritairement sociétaires extérieurs non-salariés. Ces réserves s’ajoutent et permettent notamment si ça se passe bien, d’avoir un fond de roulement qui est très important, du moins suffisant.

Si la SCOP s’arrête, ce sont les sociétaires qui décident de la répartition ?

VB : Ils décident de la dévolution, oui, avec des règles précises pour savoir où le « boni de liquidation » doit aller, en restant dans le monde de l’ÉSS. Il est assez rare que des SCOP ou SCIC s’arrêtent en étant en grosse santé. Depuis que je connais le secteur et que j’y travaille, c’est-à-dire depuis le milieu des années 90 (je suis moi-même sociétaire de SCOP depuis 10 ans), je connais peu de SCOP qui ont arrêté sans avoir vécu de crise économique. Dans ce cas-là malheureusement, tout part dans le remboursement des emprunts, des dettes sociales, comme dans d’autres entreprises en difficulté qui doivent déposer le bilan. Il y a une situation commune, dans le cas des SCOP, qui est différente de celle de beaucoup d’associations : elles sont par nature inscrites dans la vie économique, productives, avec des rentrées d’argent, des salaires, etc.

Du côté des associations, une part d’entre elles regroupe des acteurs économiques importants, mais une autre part se rend à peine compte qu’elle fait partie de l’ÉSS, et s’identifie à peine comme acteur économique. On le comprend : quand on est un club de ping-pong ou du 3ème âge dans un village, qu’on n’a que des bénévoles ou une personne en contrat aidé qui vient donner un coup de main, un éducateur sportif par exemple, on a peu de rentrées d’argent si ce n’est les bénéfices des fêtes ou l’argent des licences, des cotisations. C’est normal qu’on ne s’identifie pas comme entreprise.

Pour ce qui est des SCOP, cette identification est forte, avec ce rapport au capital, à l’argent qui n’est pas un rapport de stricte non-lucrativité . Les salaires dans l’ensemble des coopératives sont plus resserrés et en moyenne plus bas que dans les entreprises comparables de leur secteur. Donc, on permet une participation aux dividendes et bénéfices, quand on peut, qui vient un peu compléter cette différence. Il y a de bonnes années mais aussi de très chiches, et même des années où pour équilibrer les comptes, on est obligé de prendre un peu du capital. Ainsi il diminue, et c’est au détriment, si l’on ne peut pas le reconstituer, des sociétaires qui « sauvent leur boite » en faisant cela mais en perdant une part des sommes qu’ils ont engagées.

On peut prendre dans les réserves impartageables aussi ?

VB : Oui, et cette partie du capital propre est utilisée en premier lieu lorsqu’il faut compenser une perte.

 

SECONDE PARTIE : L’ENGAGEMENT DANS L’ÉDUCATION À L’ÉSS

Ton engagement dans « Mon ESS à l’École » : tu peux nous préciser un peu, pourquoi tu as participé au bilan à St-Étienne le 6 juin ?

VB : Je suis sensible depuis longtemps à cette question de l’instillation dans les pratiques éducatives, d’approches associatives, coopératives, mutualistes, des valeurs et des pratiques de l’ÉSS. Parfois, on passe par les pratiques d’abord, ce qui est logique, car l’ÉSS est un projet en acte au-delà d’un projet en idée, c’est très important. J’ai moi-même été travailleur social avec des jeunes, en menant un travail collectif avec eux dans les centres sociaux et autres associations ou j’ai travaillé. Quand je suis devenu plus actif dans l’ÉSS en tant que telle, avant même d’avoir entendu parler de L’ESPER, j’avais entendu parler d’essais en ce sens. Je connais aussi l’OCCE, la pédagogie Freinet. C’est bien que des personnes se mettent à disposition de cette volonté d’imprégner les pratiques éducatives de valeurs et de pratiques ÉSS.

Quand j’ai appris par la CRESS que l’ESPER cherchait des parrains, je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? ». Je l’ai déjà fait un peu, ponctuellement, à travers des interventions en IUT, par exemple à celui de Roanne ou de Tourcoing, sur l’ÉSS et les pratiques en rapport. À l’IUT de Roanne, on a eu un projet très intéressant, qui n’a pas pu voir le jour pour des raisons financières : en deuxième année, au lieu d’un stage ordinaire, on voulait organiser un stage qui aurait été la création de coopératives provisoires par les étudiants. On rejoint quelque chose dont on n’a pas parlé tout à l’heure, parce que ce n’est pas strictement scolaire, ce sont les CJS (Coopératives Jeunesse de Services) qui sont greffées sur des lieux d’animation, d’accueil de jeunes et qui pourraient être greffées sur bien plus d’endroits d’ailleurs ; pourquoi pas pendant une année de BTS, d’IUT, au sein d’une Mission locale avec les chômeurs… C’est un projet de notre SCOP de travailler sur le sujet.

Mettre en lien les CJS avec « Mon ESS à l’École » est une perspective que se fixe L’ESPER…

VB : Lorsque ce genre d’accords peut exister, il donne des muscles à L’ESPER, peut-être pas financièrement, mais au moins sur le plan de la crédibilité. Je sais qu’il y a des accords qui existent dans certaines régions, en Midi-Pyrénées par exemple entre la CRESS et l’académie pour le travail dans le monde scolaire. La limite vient  des moyens que l’Académie peut ou veut y consacrer.

On peut fonctionner avec des finances réduites. Au collège de ST CHEF, le budget a été  monté à l’interne, à BOURG EN BRESSE, les jeunes ont récupéré des feuilles qui sortaient des photocopieurs et imprimées d’un côté pour les transformer en carnets, cela n’a pas demandé un investissement considérable.

VB : Oui, c’est l’accompagnement qui nécessiterait peut-être plus de moyens. Si dans un établissement il y a des volontaires, on peut considérer que les profs le font dans le cadre de leur travail, les élèves dans le cadre de leurs apprentissages ou non, peu importe, mais cela crée ainsi un ensemble d’énergies disponibles. Ce n’est pas forcément chaque petite création associative ou coopérative qui est coûteuse, c’est plutôt l’animation de l’ensemble, le développement.

Pour le moment on fonctionne surtout sur le bénévolat. L’ESPER salarie des coordinateurs nationaux et locaux qui nécessitent des sommes importantes mais restent limitées.

VB : Sur le principe, on rejoint la question de ma volonté de rendre service à « Mon ESS à l’École ». Je suis disponible, si on peut trouver une adéquation entre ce qui existe dans un établissement et mes disponibilités, dans la Loire notamment.

De toutes façons, je trouve que c’est bien qu’il y ait des bénévoles aussi, pour la diffusion des pratiques coopératives, des pratiques et de l’esprit de l’ÉSS. Tout ceci ne pourra jamais reposer uniquement sur des postes salariés, des budgets, etc. C’est vraiment l’affaire de tous ! C’est une façon d’être citoyen que de diffuser l’ÉSS dans les pratiques éducatives. Dans ce cas-là, quand ça concerne la citoyenneté, ça va bien au-delà de ce que pourrait être un engagement comme salarié. Pour certains, ça colle ensemble, ça peut être leur boulot, tant mieux ! Au fil de ma vie professionnelle, j’ai été salarié de l’ÉSS et pour l’ÉSS, pour la réflexion et la diffusion de documents sur l’ÉSS directement. Mais je crois que j’ai toujours été bénévole ailleurs, c’est normal,   il me semble que c’est un peu dans l’ADN. Quand je parle à des étudiants qui ont du mal à comprendre ce qu’est l’ÉSS, souvent, je me rapproche des sports collectifs. Dans la vie, pour faire image avec quelque chose que tout le monde vit plus ou moins, les sports collectifs sont ce qui permet le mieux de comprendre ce qu’est l’ÉSS.

Sport collectif amateur, non ?

VB : Amateur oui, on est bien d’accord. Et encore, c’est terrible comme le dopage par exemple, gangrène le cyclisme amateur. Je n’en reviens pas : comment des cadets, des juniors, à qui on dit « Allez pour que le club gagne, tu prendras bien ça… C’est pour nous » peuvent se laisser convaincre. Même s’il n’y a pas un kopeck à la clé ! La compétition y compris en amateur attise la triche. Comme disait Guy Béart sur le Tour de France « Le Tour est un spectacle qui plaît à beaucoup de gens, mais dans le spectacle, il n’y a pas de miracle ».

Dans le sport d’équipe, bien vécu, il y a quelque chose de très important, c’est qu’on ne gagne qu’ensemble, par une conjonction des forces et une prise en compte des faiblesses et des limites de chacun. C’est impossible de « jouer perso » tout un match. Je pense que l’état d’esprit qui permet d’être coopératif, c’est d’avoir conscience de ses propres limites et de celles des autres. Un dirigeant qui n’a pas conscience de ses limites, en particulier, va avoir une espèce d’inaptitude à avoir besoin des autres.

 Interview réalisée le 26 juin 2018