La Lettre de L’ESPER n°7 – Juin 2011

EDITORIAL

Par Roland Berthilier, Président

Résistances

Ces dernières semaines, plusieurs mouvements de résistance sont venus nous interpeller. Resistance des « indignés » espagnols tout d’abord, un mouvement spontané qui s’est développé face à l’insupportable précarité qui se propage, face au chômage désormais horizon indépassable pour de nombreux jeunes. Il est l’expression d’une lassitude générale de ne plus pouvoir espérer, mais il est également un mouvement de défiance, non pas vis-à-vis du vote et de la démocratie représentative, mais par rapport aux grands partis traditionnels. Ceci doit d’ailleurs nous questionner quant à la capacité des « institutions » à représenter les citoyens : cela vaut pour les partis politiques, mais cela ne vaudrat- il pas également pour les institutions de l’Economie sociale ? A nous d’être vigilants sur ce point, sur lequel nous reviendrons.
Résistances qui se poursuivent, au-delà de l’Espagne, dans les pays arabes : alors que des peuples ont triomphalement réussi, il y a quelques mois déjà, à gagner leur liberté, d’autres se battent encore aujourd’hui, dans la poudre et le sang, pour conquérir la leur, simplement au nom de leur dignité.

Résistances plus près de nous, en France, dans les écoles par exemple, où parents d’élèves, enseignants et acteurs éducatifs conduisent une impressionnante mobilisation citoyenne : nuit des écoles, mobilisations quotidiennes dans les classes et les établissements, interpellation des pouvoirs publics… Là encore, une belle leçon de citoyenneté, une action solidaire mise en oeuvre collectivement pour la réussite de tous les élèves. Résistances également des fonctionnaires, dont ceux de l’Education, qui se mobilisent pour la défense de leur pouvoir d’achat, de leurs conditions de travail, quand le gouvernement continue à se cacher derrière le dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux pour ne pas voir que le système, dans l’Education comme dans d’autres services publics, est à bout de souffle.

Ces actes de résistance sont autant d’occasions d’espoir ; mais nous savons que résister ne suffira pas, et qu’il faudra aussi créer, inventer, si l’on veut mettre en place un monde nouveau.

Quelle est donc, dans tout cela, la place de l’Economie sociale?

Au moment où se réunissent, en ce mois de juin, des Etats généraux au Palais Brongniart, la question mérite légitimement d’être posée.

Il semble tout d’abord essentiel pour l’Economie sociale de s’interroger sur ses pratiques, sur ses modes de gouvernance – comme nous avons commencé à le faire au sein de L’ESPER lors de notre dernière AG -, sa capacité à incarner un espace d’émancipation, de citoyenneté et de démocratie réelle dans la sphère économique, au moment où les attentes sur cette question, comme le montre le mouvement espagnol, sont très fortes, et ont été tellement déçues.

Il parait ensuite indispensable que l’Economie sociale réaffirme son identité et sa capacité à porter un projet politique, à un moment où se développent en parallèle différents mouvements qui attirent l’attention et peuvent générer confusions et brouillages quant à ce qu’est réellement l’Economie sociale : au sein du capitalisme, mouvements qui disent se constituer pour tenter de le « moraliser » ou tout du moins de le réguler, comme l’entrepreneuriat social ; diffusion dans toutes les entreprises des logiques de RSE
(Responsabilité Sociale des Entreprises)… Mais aussi, plus cyniques, groupes du CAC 40 qui « surfent » sur la demande de « social » et « d’éthique » pour se valoriser à travers une communication qui n’a guère à voir avec leurs pratiques…

Dans ce contexte, plus que jamais, l’Economie sociale doit rester vigilante à ne pas être assimilée à ces mouvements, qui se distinguent de sa définition et de son identité, qu’il lui faut donc fortement réaffirmer : une économie non capitaliste ou a-capitaliste, constituée de sociétés de personnes et non de capitaux, dans une démarche d’entreprenariat collectif. Et mieux dessiner son projet pour une autre société : comment les solutions portées par l’Economie sociale peuvent-elles y contribuer ?

Car il ne s’agira pas simplement de se contenter de vouloir poser quelques pansements sur une société où explosent les inégalités sociales, où notre avenir collectif est menacé par l’incapacité du système actuel à se réguler. Il y a bien un monde nouveau à inventer. L’ESPER et ses organisations membres, l’Economie sociale dans le monde de l’Education, devront y prendre toute leur part, en faisant entendre leur voix dans le débat public.

 

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