Lettre ouverte de l’UNEF : Faire taire la jeunesse n’est jamais la solution. Renoncez à judiciariser les mobilisations étudiantes !

Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,

La commission mixte paritaire a défini le lundi 9 novembre une version finale du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.

Avant que cette loi soit soumise au vote de l’Assemblée nationale mardi, nous souhaitions attirer votre attention sur un élément : la judiciarisation des mobilisations étudiantes.

Nous sommes, depuis la présentation du texte, opposé·e·s à la loi de programmation de la recherche. En effet, si depuis de nombreuses années l’UNEF réclame une loi permettant des financements pérennes et massifs de la recherche publique, la LPR ne répond pas à cela. Nous continuons d’en demander l’abandon. L’UNEF, comme d’autres organisations et instances à tous les échelons, a, à de nombreuses reprises, dénoncé notamment l’insuffisance budgétaire et la précarisation qu’induit la création de nouveaux contrats de travail à destination des jeunes chercheur·se·s.

Néanmoins, si je vous écris aujourd’hui c’est pour vous parler d’une disposition qui n’a fait l’objet d’aucun réel débat démocratique et au sujet de laquelle la communauté universitaire n’a, en aucun cas, été consultée. La commission mixte paritaire a en effet modifié l’article 20 bis AA de la loi aggravant la restriction de liberté déjà proposée par le Sénat. Cet article punit maintenant d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison et 45 000€ d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou règlementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».

C’est une atteinte grave à la démocratie universitaire, à la liberté d’expression, à la liberté syndicale, au droit de contester les décisions qui nous concernent, etc.

En pratique, quel que soit l’objectif initial de cet amendement, en l’état, il interdit de nombreuses actions de mobilisation étudiante. Ce que vous allez interdire, c’est l’envahissement d’un conseil d’administration pour dénoncer un budget trop faible et empêcher que le vote ait lieu, l’occupation d’une université pour dénoncer une réforme, les actions de perturbations des cours pour défendre nos conditions d’études, jusqu’à la tenue d’assemblées générales et de rassemblements lorsque ceux-ci ne sont pas acceptés par l’établissement. Tout cela, c’est autant d’actions qui ont rythmé la contestation que nous avons opposé à nombre de lois et réformes que vous avez portées Madame la Ministre et que vous avez majoritairement voté Mesdames et Messieurs les parlementaires : contre la loi « Orientation et Réussite des étudiants », contre le plan « Bienvenu en France » contre la réforme de la licence.

Non content·e·s de ne pas avoir écouté les jeunes, vous souhaitez maintenant nous interdire de dire « non » ?

Non, cet article ne s’adresse pas uniquement aux personnes extérieures aux établissements universitaires comme vous l’expliquez à la presse, Madame la Ministre. En l’état, tout étudiant·e occupant une université sans autorisation préalable est concerné·e. Les présidences d’université devraient, maintenant, nous autoriser à envahir leur conseil d’administration et occuper leur établissement ? Alors que de nombreuses occupations ont été délogées par la police lors de la dernière mobilisation contre la sélection, permettez-moi de douter de la réalité de telles autorisations.

Des générations de mai 68, à celles ayant lutté contre le projet de loi Devaquet en 86 ou encore contre le CPE en 2006, combien auraient un casier judiciaire si ces dispositions existaient déjà à l’époque ? Parmi vous, combien pourront dire ne jamais avoir participéà aucune de ces actions ? Il est bien loin maintenant le « il est interdit d’interdire ».Ces mobilisations ont fait avancer le débat public, ont favorisé la construction de l’esprit critique. Étouffer celles à venir ne fait que pourrir les relations démocratiques et miner un peu plus le dialogue social au sein de la communauté universitaire. L’université est un lieu d’émancipation intellectuelle qui nous pousse à re-réfléchir constamment notre société et à prendre part aux débats publics. La libre expression de la jeunesse ne saurait être réduite de la sorte.

Nos mobilisations auront lieu, nos actions continuerons. Les interdire ne fera que les amplifier.

Face à l’explosion de la précarité étudiante, la dégradation de nos conditions d’études, la mise en place de frais d’inscription différenciés pour les étudiant·e·s étranger·ère·s, la jeunesse ne saurait s’exprimer dans le calme, « la tranquillité ou le bon ordre » lorsqu’on la méconnait avec autant de force et qu’on la réprime.

Mesdames et Messieurs les parlementaires, n’adoptez pas cette loi, refusez la précarisation des jeunes chercheur·se·s et le sous-financement des laboratoires de recherche, mais aussi la mise à mal notre démocratie. Nous vous demandons de vous opposer spécifiquement à ces dispositions, conformément à l’article 45 de la Constitution, en déposant un amendement sur le sujet, si le gouvernement vous concède ce droit.

Madame la Ministre, ne faites pas l’erreur de penser que la judiciarisation de nos actions nous arrêtera. Assumez le débat démocratique. Assumez le mardi, en acceptant tout amendement proposé sur la LPR, mais aussi à l’avenir en appelant à la suppression de cet article nouvellement rédigé et sur lequel aucune chambre parlementaire n’a pu réellement s’exprimer

Soyez assuré·e·s que l’UNEF continuera de batailler pour garantir aux étudiant·e·s le droit de manifester et d’exprimer librement leurs opinions. Les aspirations de la jeunesse à une société plus juste ne peuvent être tues et doivent être entendues.

Je vous prie d’agréer Mesdames et Messieurs les parlementaires, Madame la Ministre, mes sentiments les plus respectueux.
Syndicalement,

Mélanie LUCE, Présidente de l’UNEF

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