Le 30 janvier, à Paris et au siège de la MGEN, se sont tenus en format hybride les vœux de L’ESPER 2023.
Bertrand Souquet, président de l’association, a redit sa volonté pour une année 2023 « coopérative, réflexive et solidaire », donnant toute son importance à l’éducation et à la lutte contre l’intolérance. Il a aussi présenté les actions de L’ESPER en quelques chiffres : 145 inscriptions « Mon ESS à l’Ecole » et 86 inscriptions à la Semaine de l’ESS à l’Ecole cette année pour le moment, plus de 6000 élèves sensibilisés et 200 bénévoles mobilisés en général.
S’en est suivie une conférence animée par Sylvie Emsellem, avec l’intervention de Laurence De Cock, professeure agrégée en lycée à Paris et docteure en Sciences de l’éducation, et Sylvie Guffroy, co-correspondante L’ESPER de l’académie de Lille, sur les « Pratiques pédagogiques coopératives à l’épreuve des politiques publiques de l’éducation ».
Sylvie Emsellem, déléguée nationale à L’ESPER, a introduit les deux intervenantes et le débat autour de la question suivante : Est-il possible de mettre en place des pédagogies coopératives au sein du système scolaire ?
Elle a indiqué que les analyses explicitées dans certains ouvrage de Laurence de Cock confirme le projet associatif de l’Esper sur plusieurs points :
- Pour être véritablement commune et émancipatrice, l’école publique doit développer dès les premières années de scolarisation, une éthique de l’intérêt général.
- D’autres critères doivent être pris en considération comme la coopération, la créativité, l’intimité, des valeurs plus politiques : l’égalité, la dignité et l’absence de discrimination.
- Et la défense une pédagogie émancipatrice, l’exact contraire de la pédagogie qualifiée de « bancaire » par Paulo Freire, c’est-à-dire une forme de transmission purement cumulative, qui réduit les élèves à des êtres passifs, prêts au gavage.
Sylvie Guffroy a d’abord présenté un projet de boutique solidaire au lycée Ferry Savary à Arras. Une professeure d’éco-gestion avait sollicité L’ESPER dans le cadre de « Mon ESS à l’Ecole » pour présenter l’ESS aux élèves de seconde (filière vente). Les valeurs « ont pris » et ont permis d’aboutir au projet d’une boutique solidaire et d’une vente de fournitures scolaires à destination des élèves les plus défavorisés. L’équipe enseignante et les élèves étaient motivés et impliqués, s’organisant pour gérer la boutique (que ce soit à travers une réflexion autour du nom, des votes à main levée, etc.). Ce ne sont d’ailleurs pas les élèves ayant le plus de connaissances livresques qui ont forcément été les plus impliqués. Les appétences, un certain sens de la débrouillardise et de l’innovation, ont été les clés de répartition des rôles au sein de la boutique mais aussi des connaissances et compétences. Pour Sylvie Guffroy, il faut prendre en compte les différences entre élèves. L’enseignant.e doit en ce sens être un aidant qui va s’effacer et pousser le groupe à réaliser son entreprise. Cette démarche n’est pas aisée à mettre en place si on évalue les contraintes pratiques. Par exemple, une association pour un élève mineur n’est pas une chose simple à investir et elle n’a pas la « même saveur » quand elle est mise en place par les professeur.e.s. De même, il y a la contrainte du travail avec de l’argent quand les élèves ont une cagnotte, tiennent une caisse, investissent celle-ci dans la boutique… Des éléments qui ne vont pas de soi et qui poussent d’ailleurs la professeure du lycée Ferry Savary à étudier la question d’une monnaie fictive.
De manière synthétique, dans le cadre de ce projet, nous pouvons identifier des leviers et des freins à la mise en place de la coopération :
Les leviers sont :
• Le travail en équipe de l’équipe éducative
• Le soutien du proviseur
• La posture du professeur en tant qu’aidant, guide et jamais en tant que censeur
• La valorisation des élèves dans la mise en place du projet
• La responsabilisation des élèves
• Le positionnement des élèves les uns par rapport aux autres, une forme de nivellement, sans le souci de la pression scolaire et des notes
Et les freins sont :
• A l’école, il demeure une évaluation individuelle et pour certains élèves une faible expérience de la coopération
• Les contraintes pratiques liées à la circulation d’argent dans le cadre de ce projet
Laurence De Cock a ensuite repris la suite de l’intervention pour réfléchir aux manières de coopérer quand on n’a pas d’expérience de la coopération avant. Elle est d’abord revenue sur les différences entre collaboration et coopération.
La collaboration ce serait l’idée d’un « travail ensemble » où chacun mobilise ses compétences et se répartit le travail pour aboutir un projet commun. Chaque élève va dans cette logique se cantonner à un rôle (consultant, « moteur », spécialiste numérique…). Ce qui veut dire aussi qu’il va y avoir des élèves « chômeurs », qui ne vont rien faire, quand d’autres vont s’enfermer dans des rôles qui ne les sortent pas de leur zone de confort. Collaborer ce n’est pas s’affranchir des inégalités.
La coopération s’articulerait elle plus avec la notion d’émancipation, quand on ne travaille plus mais qu’on agit ensemble. Cela veut aussi dire que parfois le projet n’est pas connu, et que c’est par le biais de réflexions/curiosités/émulations initiales que les élèves vont se mobiliser collectivement. Mais aussi sortir de leur zone de confort, pour aller vers une destination qui reste à inventer. La coopération, et le processus qui l’accompagne, ce serait donc tous ces cheminements de doute qui font avancer. Et ce, puisqu’on fait appel à des savoirs construits ensemble.
Laurence De Cock est ensuite revenue sur l’histoire des pratiques pédagogiques collaboratives qui ont plus d’un siècle et demi d’histoire.
Au début du XIXe siècle, en France, se développe une initiative d’enseignement mutuel. Celle-ci est prise par des « laïcs » (ne faisant pas partie du clergé) qui voulaient changer la posture d’enseignement traditionnelle et passive en s’inspirant de l’enseignement populaire. Soit un enseignement efficace, massif, de tout âge permettant de transformer un petit groupe d’enfants en moniteurs transmettant eux-mêmes leurs connaissances de façon horizontale. Finalement, la monarchie de Juillet interdit cette forme d’enseignement perçue comme une menace de l’ordre établi.
Vient ensuite une pédagogie plus connue, celle de l’éducation nouvelle qui a un siècle d’âge. C’est un courant de réflexion sur l’éducation né avant la Première Guerre Mondiale mais qui ne s’est institutionnalisé qu’après la Seconde. Faisant suite à la barbarie, des éducateurs du monde entier questionnent la formation d’un esprit guerrier. L’Ecole serait-elle responsable ? Ils perçoivent l’urgence de faire une éducation à la paix, transmettant des valeurs d’entraide, de solidarité, de coopération, Mises au service de l’acceptation de l’altérité, et donc la paix. Par ailleurs, il y a une envie d’en finir avec la forme traditionnelle de l’école qui met de côté certains enfants. L’éducation nouvelle se pense comme inclusive et démocratique, mettant l’intérêt de l’enfant et la culture enfantine au centre de ses préoccupations (à une époque voyant apparaitre la psychologie). Une question toujours d’actualité se pose alors : Comment apprend un enfant ? Pour ces éducateurs, comme Célestin Freinet, la réponse tient dans l’implication de l’enfant dans la compréhension de son savoir. Pour ce dernier, communiste, l’Ecole doit être au service des enfants (démocratisée, gratuite…) qui en ont le plus besoin (les plus défavorisés). Maria Montessori par exemple, n’a pas les mêmes centres d’intérêts, quand elle a une approche individualisée pour que tous les enfants puissent être intégrés (même ceux considérés comme « arriérés »).
Quels sont les freins à la coopération ?
Pour Laurence De Cock c’est d’abord la forme scolaire, avec l’agencement de la classe. Des enjeux de domination se jouent dans le cantonnement spatial des élèves, parfois en fonction de leur niveau. Mais aussi dans les programmes, les évaluations… qui empêchent de véritablement mettre en place des démarches coopératives. Par ailleurs, la logique de ces démarches se perd dans un modèle d’adhésion au savoir enseignant. Il ne peut y avoir de construction collective du savoir, du doute, quand une confiance aveugle est donnée à ce que l’enseignant apporte. La même question se pose au sujet des valeurs de la République qui sont « données » par le gouvernement. Pourtant, et dans une logique de pédagogie active, les valeurs de la République ne s’apprennent pas, mais s’éprouvent dans des besoins, des situations.
Les freins sont certes importants mais il est possible de réfléchir à des solutions, allant parfois à l’encontre de l’institution. L’éducation est possible ailleurs qu’en classe, et il est parfois nécessaire de sortir de la classe pour aller vers un public parfois plus spontanément curieux.
D’autres pédagogies critiques ont réfléchi à ce qui était possible de faire. Et surtout, ce qui empêche l’entrée dans des apprentissages (comme l’absence de livres chez soi) : ce qui explique qu’il n’y a pas d’entrée égalitaire dans les savoirs. Poser des mots sur ce qui aliène et empêche permettrait de s’émanciper.
A partir de ce point, des questions ont été posées sur le Groupe Français Education Nouvelle (GFEN) et sur l’auto-socio-construction.
Pour Laurence De Cock, les travaux de ce groupe sont des pistes pour comprendre les processus cognitifs d’apprentissage. Et ce, puisqu’ils partent des questions que se posent eux-mêmes les élèves. Etre mis face à un problème socio-cognitif (qui ne correspond pas à ce qu’on pense), donne l’envie de résoudre ce problème, crée le débat. Ce dernier étant facilité par le professeur donnant des démarches de résolutions. Un exemple : demander à des élèves de primaire d’expliquer ce qu’est la Terreur sur une frise chronologique peut amener ces derniers, ne connaissant généralement pas ce moment de l’Histoire, à y voir un lien direct avec l’exécution de Louis XVI (il a été exécuté parce qu’il a instauré la Terreur). Lien d’autant plus logique pour eux dans un schéma où les révolutionnaires sont « gentils » et Louis XVI « méchant ».
Une relance est faite sur Jacques Rancière et le maitre ignorant, soit une expérience à la fin du XVIIe siècle, où un enseignant, Jacques Autreau, enseigne à des élèves aux Pays-Bas le néerlandais sans connaitre la langue. Pour autant, il se joue quelque chose d’une absence de domination entre professeurs et étudiants dans les apprentissages. Se construit le principe d’une égalité des intelligence et du tous capable.
Selon Laurence De Cock, Jacques Rancière fait une critique radicale de l’école ayant pour projet d’en finir avec l’école publique. La relation maitre-élève vue par l’auteur comme inutile, serait d’autant plus utopique pour elle, qu’il enseignait à des élèves socialement favorisés . Pour autant cette absence de hiérarchie est un horizon.