L’ESS dans… le cadre du chef d’œuvre

Pourquoi éduquer à l’ESS en lycée professionnel ? 

  • D’abord, parce que le nombre de lycéens y est considérable : un élève sur trois est en filière professionnelle (baccalauréat professionnel ou CAP). 
  • Ensuite, parce que plus de la moitié de ces élèves (57 %1) sont issus de milieu social défavorisé (contre 29,9 % en lycée général) et que l’éducation à l’ESS a une vocation émancipatrice.  
  • Enfin, parce que cette éducation devrait concerner tous les futurs citoyens dont ces lycéens font partie. Au vu des enjeux que porte l’éducation à l’ESS – notamment de contribuer “au développement critique de jeunes élèves, afin de s’émanciper du poids de leurs déterminismes liés à leur genre, origine sociale ou ethno-raciales, etc2.”, il est d’autant plus nécessaire de porter une attention particulière à faire découvrir et vivre l’ESS dans ces établissements.

Pourtant, dans les programmes de lycée professionnel, l’ESS n’est citée explicitement qu’une seule fois dans la discipline d’économie-gestion filière production. Il existe cependant des opportunités pour intégrer l’ESS aux enseignements et la faire vivre aux élèves, notamment au travers du projet pluridisciplinaire qu’est le chef d’œuvre.

Qu’est-ce que le chef-d’œuvre ?

Depuis la rentrée 2020, les élèves de CAP ou baccalauréat professionnel doivent réaliser un chef d’œuvre. Il s’agit d’un projet pluridisciplinaire, individuel ou collectif, réalisé sur deux ans – en première et terminale, ou en 1ère et 2ème année de CAP. Il doit être en lien avec la spécialité du diplôme préparé et doit permettre “à l’élève ou l’apprenti [d’éprouver] la nécessaire complémentarité des enseignements professionnels et généraux suivis pendant le cursus3”. Environ 1h30 par semaine est dédiée à leur réalisation, qui incarne désormais la pédagogie de projet en voie professionnelle.

Une pédagogie de projet propice à la découverte et l’expérimentation de l’ESS  

Par son caractère interdisciplinaire et transversal et par sa mise en œuvre collective, le chef d’œuvre est un cadre privilégié pour y enseigner l’ESS notamment à travers « Mon Entreprise Sociale et Solidaire à l’École ».

La dimension collective, préalable à la découverte de l’ESS en chef d’œuvre

Le chef d’œuvre, quand il est  mis en œuvre collectivement permet de développer des projets “Mon Entreprise Sociale et Solidaire à l’École”. L’économie sociale et solidaire, ce sont avant tout des personnes qui se réunissent pour porter ensemble des projets communs, qui répondent à des besoins collectifs ou d’utilité sociale. La dimension collective du chef d’œuvre est donc une condition préalable pour faire découvrir et vivre l’ESS. Dans cette dynamique, les élèves découvrent et éprouvent les principes de base de l’ESS :  

  • la gouvernance démocratique : Expérimenter  les différentes manière de prendre des décisions en collectif, essayer d’écouter les autres et de  prendre la parole pour exprimer son avis… Mettre en œuvre le principe “1 personne = 1 voix”.
  • la coopération : découvrir la plus-value du travail coopératif sur le travail individuel, expérimenter une organisation qui permette l’épanouissement de chaque élève grâce à des apprentissages collectifs. Il est important que les élèves expérimentent plusieurs rôles durant le projet, éloignés de leurs compétences et goûts, pour favoriser les apprentissages et  éviter les ségrégations sociales et la reproduction de stéréotypes.

Cela peut notamment se traduire par la création d’une association, qui se réunit en assemblée générale pour prendre les décisions importantes liées au projet.

Relier les enjeux de sa filière à la réalisation d’un projet d’utilité sociale  

Le travail du chef-d’œuvre, transversal et pluridisciplinaire, intègre des enjeux économiques, sociaux, écologiques ou numériques significatifs de la filière de métiers concernée.” Circulaire du 22-10-2020 sur la réalisation du chef d’œuvre.

S’emparer de l’économie sociale et solidaire en chef d’œuvre, c’est faire se questionner les élèves sur les enjeux propres à leur filière et y relier la notion d’utilité sociale – en considérant les compétences en cours d’acquisition, de quelle manière peut-on les mettre au service du collectif, pour répondre à quel besoin identifié ? C’est également les faire se questionner sur le tissu économique local et la place que l’ESS y occupe.

Construire le sens de ses apprentissages et permettre l’acquisition de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être

“Il s’agit donc d’une réalisation qui prend appui sur une démarche de projet pluridisciplinaire mobilisant des compétences et des savoirs issus des enseignements de spécialité et généraux et qui est significative, représentative ou même emblématique de la filière professionnelle concernée.” Circulaire du 22-10-2020 sur la réalisation du chef d’œuvre.

La dynamique de projet est ponctuée de temps courts d’apprentissages plus théoriques : la définition de l’ESS, les notions d’engagement, de démocratie… quelques notions d’histoire et ses problématiques pour montrer que l’ESS n’est pas seulement une succession de pratiques mais qu’elle repose sur des aspects de notre culture et qu’elle est ancrée depuis longtemps dans la société française. Faire vivre l’ESS en chef d’œuvre, c’est adopter ses valeurs, ses principes et sa démarche. La pédagogie de projet “Mon ESS à l’École” permet d’appliquer des savoirs, savoir-faire et savoir-être et de créer des situations de recherche collective, sources d’apprentissages plus théoriques.

Exemples de projets “Mon ESS à l’Ecole” en chef d’œuvre 

Au lycée Les Jacobins de Beauvais, des élèves de CAP Agent de Propreté et d’Hygiène, appuyés par  leurs enseignantes, ont créé l’association Jacowash. Constatant le faible nombre de produits d’entretiens écologiques, les élèves ont décidé de fabriquer des produits d’entretien « faits maison et écologiques » (produit vitre, lingettes désinfectantes réutilisables, gel WC et lessive à la cendre) et de les vendre à bas coût. La deuxième année du chef d’œuvre, les élèves sont allés plus loin en proposant des tutoriels et des ateliers pour transmettre leurs connaissances et permettre à chaque personne de s’autonomiser dans la confection des produits. Dans cette dynamique, les élèves ont appris à travailler en équipe et ont développé de “l’autonomie puisqu’ils ont créé leur association de A à Z […], ils sont confrontés à une vraie société, il font aussi la gestion de la comptabilité, la gestion des stocks, la production, le marketing packaging et la communication”. Retrouvez l’ensemble du témoignage des élèves et des enseignantes dans cette interview vidéo

Au lycée des métiers Brossaud Blancho de Saint-Nazaire, des élèves de CAP Equipier Polyvalent de Commerce ont organisé des ventes de produits locaux et solidaires. Pour les fêtes de fin d’année, les élèves ont vendu des paniers garnis locaux, des bouquets de chocolats (préparés par une autre classe du lycée) et des plants (aromatiques, tomates, fraisiers) mis en pots par des jeunes d’un institut médico-éducatif. Selon l’enseignante qui a accompagné le projet, tous les points du référentiel CAP Equipier polyvalent de commerce ont été traités grâce au projet mené. Et des compétences transversales (autonomie, organisation, communication, prise d’initiatives…) et professionnelles (prise de commandes, mise en valeur des produits et de l’espace de vente, accompagnement du client dans son parcours d’achat) ont été travaillées et acquises par les élèves. Retrouvez le témoignage des élèves et de l’enseignante dans cette interview vidéo.

Cet article s’appuie sur les travaux menés sur l’identification de l’économie sociale et solidaire dans les programmes scolaires, en juin 2023 par le comité scientifique Ressourc’ESS et les salariées de L’ESPER.

  1.  Insee, Inégalités sociales dans le système scolaire, 2020 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432431?sommaire=5435421 ↩︎
  2. Sylvie Emsellem, Déléguée nationale de L’ESPER ↩︎
  3. https://www.education.gouv.fr/bo/20/Hebdo41/MENE2019533C.htm ↩︎